Le marketing olfactif est un outil stratégique pour incarner une nation, créer une mémoire sensorielle, renforcer le nation branding et dynamiser l’attractivité touristique. Plusieurs pays l’utilisent de manière professionnelle et assumée. En Tunisie, peu de structures dans l’Hospitality le revendique.
Dernièrement, La Badira, seul membre des Leading Hotels of the World en Tunisie, a créé son premier parfum signature : Lune Absolue. Une création olfactive lié aux paysages et senteurs du Cap Bon. Avec une note de tête de néroli, suivie d’un cœur de bergamote ambrée et d’une base d’oud fleuri, le parfum évoque les jardins d’agrumes et la lumière méditerranéenne d’Hammamet.
Qui dit Tunisie, dit a minima Néroli et Jasmin.
La Tunisie a des parfums, Un parfum. Un vrai qui s’invite dans les ruelles, dans les patios, dans les maisons, dans les mémoires. Un parfum qui ne demande qu’à devenir une signature, une marque, une identité. Et pourtant… il demeure invisible. Inexploité. Aujourd’hui, ce parfum méditerranéen tunisien qui existe bel et bien est-il affirmé? Revendiqué? Construit? Raconté? Amel DJAIT

Créer une signature olfactive nationale : “Tunisia, essence of lights”
Au delà du jasmin, le pays est aussi un territoire de néroli, thym, d’oliviers, de brise marine, de soleil…Qu’en est-il des parfum du Sud tunisien, des iles, des steppes, des aubes sur les kssours, de la rosée sur l’églantier et de la rose des ables que l’on vient juste de déterrer?
La Tunisie est-elle en train de passer à côté d’un potentiel énorme, encore un, ne sachant se l’approprier? Hélas, la réponse semble évidente!

Comment et pourquoi la Tunisie aussi riche olfactivement, reste t-elle aussi pauvre stratégiquement? Quels liens sont exploitables entre le marketing sensoriel et les différentes destinations touristiques du pays? Longtemps considérée comme un « grenier » de senteurs pour des marques internationales, le pays s’éveille et peine à la mise en valeur de ses fragrances.
Encourager les créateurs tunisiens à produire des parfums d’auteur
Pourtant, les créateurs de parfums tunisiens existent. Talentueux et encore peu nombreux, ils manquent de soutien, de plateformes et de vision nationale.
A titre d’exemple, les 3notes https://lestroisnoteslab.com une jeune marque qui en plus de sa propre production de parfums organise des ateliers olfactifs dans une forme ludique et didactique à vivre en format individuel ou amoureux. Pour en savoir plus, lire mon article https://www.amel-djait.com/caprices-d-amel/experience-olfactive-unique-en-tunisie-ou-les-trois-notes/. Je cite aussi Riha, https://riha.tn Amarante, Metara https://metara.tn Meili, https://www.meili.tn…
A l’international, les fragrances tunisiennes de rose, de néroli ou de jasmin ne sont quasiment revendiquées en tant que tels à travers un branding net ou le nom même d’un parfum de marque. « Un Jardin en Méditerranée » d’Hermès raconte la Tunisie avec élégance. Inspiré d’un jardin privé à Hammamet et créé par le parfumeur Jean-Claude Ellena pour capturer l’essence d’un jardin tunisien paradisiaque, celui-ci mêle des figuiers et des cyprès à la chaleur du soleil méditerranéen. Conçu comme un carnet de voyage olfactif, le parfum évoque la Tunisie à travers ses notes de figue, d’agrumes, et de laurier.
Le groupe Dar El Jeld https://www.dareljeld.com mise depuis plus de 30 ans sur la fleur d’oranger. Les clients découvrent la fragrance à l’accueil à l’hôtel et au moment du départ, dans le restaurant traditionnel, comme pour partir avec des souvenirs. Dans le gite rural Dar Jbel https://www.darjbel.com, au delà de l’accueil, l’eau est constamment parfumée avec de l’eau de fleurs d’orangers et un cérémonial du « bkhour » est présenté aux invités. Au départ, les clients se voient offrir une branche de thym ou de romarin du jardin.
Pour Mouna Ben Halima, C.E.O. de La Badira https://www.labadira.com, créer un parfum marqué les 10 ans du boutique hôtel mais signe bien davantage: “Ce parfum est bien plus qu’une fragrance. C’est une émotion, une empreinte olfactive de La Badira. Un hommage à Hammamet et à la douceur méditerranéenne qui inspire chaque instant ici.”
Faire entrer le marketing olfactif dans la stratégie touristique du pays
Cette attitude, c’est précisément ce que d’autres pays et destinations touristiques ont faite de par le monde. Il va de soit que comparaison n’est pas raison. D’ailleurs, le propos n’est pas de comparer la Tunisie à la France qui a fait du parfum un pilier culturel et économique (Grasse, capitale mondiale du parfum) avec des inscriptions au Patrimoine immatériel de l’UNESCO, des marques nationales soutenues par l’État (Chanel, Dior, Guerlain) et des Routes touristiques du parfum avec leurs lots de festivals et musées. Au terme d’une stratégie claire, la France a transformé une tradition artisanale en marque pays mondiale, vecteur d’une image de raffinement et d’élégance.
Plus récemment, Dubaï relève le défi de faire du parfum un symbole de richesse culturelle (oud, encens). Axé sur le parfum oriental, l’odeur se positionne bien évidemment dans le luxe. Il devient alors un marqueur de statut et d’identité nationale.
Au japon, l’expérience du parfum est dans la philosophie construite sur la tradition du Kōdō (voie du parfum). Un plan d’action nationale se base sur la diffusion d’odeurs emblématiques dans les espaces publics (yuji, sakura) et un Branding olfactif des hôtels, gares, magasins….
Plus proches de nous, l’Italie et le Maroc. Le premier construit autour du parfum un art de vivre et transforme ses traditions botaniques en expériences touristiques premium. Le second est en train de réussir à bâtir une panoplie de produits touristiques structurés autour du bien-être avec hammams, huiles, parfums et rituels. Une cohérence olfactive nationale, largement exploitée dans le marketing touristique.
Pour la Tunisie, la démarche est embryonnaire. Au delà de l’hôtel La Badira, de nombreuses structures exploitent l’utilisation de parfums d’ambiance mais ne vont pas au bout de la démarche. L’atelier de fabrication de parfums et de produits corporels Maisons et Senteurs https://www.maisondesenteurs.tn a d’ailleurs produit un parfum Boutique Hôtel, un parfum aux senteurs de pin, musc et jasmin. Après la gamme est large et chacun y va ou peut choisir en fonction de son terroir, l’Adn de son entreprise, sa palette de couleurs,….
Aromair a fait du marketing olfactif son cheval de bataille. Pour cela, il accompagne l’entreprise dans son identifications des besoins, la création de parfums et la mise en place de diffuseurs, notamment l’ambiance olfactive dans le Lounge de l’aéroport de Tunis- Carthage.
Dans la médina de Tunis, des ateliers de création de parfums sont proposes notamment par wildyness : https://wildyness.com/fr/experiences/workshop-creation-parfum avec Zouhair Ghorghar qui est tombé amoureux du Souk des parfumeurs de la Médina de Tunis. Après des années d’apprentissage, il a fondé sa propre parfumerie : Al Zitouna. Niché dans une boutique authentique, située à deux pas de la Mosquée, il invite à vivre une expérience sensorielle unique

Il ne fait aucun doute que de nombreuses entreprises profitent de cet outil, car en plus de son coût relativement limité, il impacte l’achat, chiffres à l’appui, et contribue à la qualité de services. Ceci dit, il est édifiant de constater que le pays du jasmin ne sent pas forcément bon! Sur le net, quand on pose la question « hôtel qui ne sent pas bon en Tunisie », la réponse est édifiante; « il n’y a pas un seul hôtel, mais plusieurs établissements en Tunisie ont reçu des avis négatifs concernant de mauvaises odeurs (humidité, égouts, tabac), comme…. » Et la liste est longue !
Que faut-il pour que la Tunisie crée une signature olfactive nationale? A ce jour, il n’y a aucune route touristique du parfum, aucune politique de valorisation du néroli et de la fleur d’oranger, peu de coordination entre agriculteurs, artisans, designers, musées et offices du tourisme. Par dessus, aucun parfum officiel pour la Tunisie.
Est- ce si compliqué de créer une route du néroli, du jasmin, de la rose, avec des fermes à visiter, des ateliers de distillation, des expériences immersives, des boutiques d’artisans…Du tourisme sensoriel. Du tourisme intelligent. Est-ce compliqué de créer un Institut Tunisien du Parfum et des Arts Olfactifs ou un musée des odeurs du pays? A la fois, école, laboratoire, lieu de formation et d’innovation, celui-ci peut être immersif, identitaire. pédagogique….Il peut être proposé en jeu pour enfant ou en kit -cadeau à faire soi-même. Les idées sont infinies. Elles ouvrent des voies de promotion pour la Tunisie illimitées. Tout simplement, car les odeurs racontent mieux que les mots. Elles puisent dans l’intime, le souvenir, l’émotion et en créent tout autant !
Nous avons les plantes, les fleurs, les terroirs, les eaux florales, les « fechka », en verre, couverte de natte, en argent, verre soufflé…Nous avons les traditions ( eau de fleur pour l’accueil, pâtisserie et cosmétique traditionnel )…Nous avons une légitimité historique. Il nous faut la structurer! Raconter le pays par ses émotions et ses senteurs. Il nous faut l’ambition.
Faire du Néroli tunisien un produit phare à l’international
Que faut-il pour que cette richesse et histoire profonde, dans un contexte d’expansion du marché mondial du parfums et senteurs, se convertisse? Une ambition claire : exister, s’affirmer et travailler.