La Tunisie actuelle effraie. Elle effraie les personnes extérieures à la Tunisie, parmi lesquelles il faut naturellement compter des dizaines de milliers de touristes potentiels, des centaines de responsables économiques susceptibles de travailler avec et en Tunisie, des milliers de sympathisants de la Tunisie qui en arrivent à se demander si le pays qu’ils aiment n’est pas purement et simplement en train de disparaître dans un autre Iran, dans un autre Afghanistan.
La Tunisie actuelle effraie les Tunisiens eux-mêmes, emplis de rêves et d’illusions au lendemain d’une révolution dont s’emparent aujourd’hui les extrémistes et les imbéciles (au sens premier du terme, « imbécile » n’est pas une insulte mais évoque une « personne dépourvue d’intelligence »).
L’extrémisme et l’imbécilité étant d’ailleurs souvent les deux faces de la même planète. Les Tunisiens qui ont cru en la révolution et surtout en la mort définitive de la dictature qui les empêchait d’être eux-mêmes, voient naître impuissants, une autre forme de dictature qui les transformera de gré et surtout de force, en ce qu’ils ne veulent pas devenir.
Le film diffusé par Arte hier soir, a montré l’évolution des lendemains de révolution. Il a illustré comment le parti Ennahda a utilisé la naïveté populaire pour multiplier le volume de ses électeurs. Si le procédé est évidemment contestable, il n’est pas neuf et il était encore utilisé (s’il ne l’est pas encore) par de nombreux « partis démocratiques » incitant des personnes relativement peu scolarisées à aller voter… pour eux, naturellement.
Donc le procédé n’est pas neuf et Ennadha a eu l’intelligence (ou la ruse) de l’utiliser à son profit. Rien n’empêchait les autres partis d’en faire autant… si ce n’est leurs propres divisions internes et extérieures.Mais ce passé reste irrémédiable et c’est avec son présent que la Tunisie doit composer.
Le « vote démocratique » étant ce qu’il est, l’émission diffusée par Arte a donné la parole aux dirigeants et porte-paroles du parti majoritaire (mais pas unique) Ennadha qui ont évoqué une politique et une société où cohabiteraient leur engagement musulman (pas islamiste) et le nécessaire respect des impératifs démocratiques. Le fait que Ennadha partage la direction de la Tunisie avec d’autres est déjà en soi, un énorme progrès par rapport à l’avant-révolution. Arte a également donné la parole au Président Moncef Marzouki qui a évoqué la vigilance qui serait la sienne à l’égard de ses partenaires au sein du gouvernement.
Même si cette situation est évidente aux yeux de celles et ceux qui s’intéressent à la Tunisie et à l’évolution de la situation, Arte a également montré l’intensité de la pression populaire.L’émission a montré à quel point les groupes et groupuscules extrémistes (quand même minoritaires en Tunisie – il convient de le souligner) s’efforcent de peser sur les choix et orientations d’un gouvernement qui cherche encore ses marques.
Entre l’obligation de se former au métier de dirigeant politique auquel la plupart n’étaient pas préparés et la nécessité de définir les grandes orientations de la société tunisienne, au moins jusqu’aux prochaines élections, entre le désir de liberté exprimé par une majorité relativement discrète et le carcan extrémiste que tente d’imposer une minorité pas du tout discrète, le Président et son gouvernement apparaissent dans une situation fort inconfortable.
Sans doute ont-ils choisi le rôle qui est le leur aujourd’hui et la surenchère extrémiste rend sans doute ce vœu plus ou moins impossible mais avant les procès d’intention, les Tunisiennes et les Tunisiens auraient sans doute intérêt à laisser travailler leur gouvernement (démocratiquement élu).
Pour eux-mêmes et pour un pays qui doit séduire plutôt qu’effrayer, les Tunisiennes et les Tunisiens auraient sans doute intérêt à améliorer tout ce qui touche à leur bien-être et à leurs conditions de vie, plutôt que de se détruire respectivement dans mille manifestations inutiles.
Alain Térmiseau
Pour voir le film: http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=mGaLbx2ALY8
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