Tunisie et Ennahdha : Sur quel pied danser ?

Le cérémonial des meetings « Enahdha » sont toujours les mêmes. Des salamalecs, des versets de coran et des accolades. La présentation commence par l’hymne national. Un hymne différent qui ne ressemble pas à celui que chantent les tunisiens. Ce chant n’est-il pas censé être le même pour tous ? Le vers contesté d’Abou Elkacem Chebbi y est mais de quel droit « Enahdha » prend-elle des libertés avec un des emblèmes de la nation ? Ne devrait-on pas inscrire l’hymne national dans la constitution ? Les libertés avec le drapeau ou l’hymne d’un pays ne devraient-ils pas faire l’objet d’une sanction? La question mérite d’être posée, surtout à deux semaines des élections de la Constituante.

Dans la salle, les présentations de la liste de Nabeul 2 commencent. La parole est donnée en respectant l’alternance femme homme. Hajer Majdoub est médecin. Elle vit dans le Cap Bon depuis plus de 20 ans mais n’en est pas originaire. Mère de 3 enfants et voilée, le médecin ressemble peu à la tête de liste de Tunis, Souad Abderahim, une pharmacienne quadragénaire, qui,  le jour de la présentation du programme économique du parti à Tunis, a été invitée à monter sur scène auprès de Rached Ghannouchi, Mohamed Jebali et Samir Dilou. On lui avait rajouté une chaise à la dernière minute !

Penser que la participation de la pharmacienne est faite pour donner une bonne impression et montrer qu’’Enahdha » est ouvert à toutes les tunisiennes, c’est aller trop vite en besogne ! Reste que lors d’une conférence sur les « Femmes et la Politique » au cours de la semaine écoulée, cette même militante, tête de liste de Tunis, a été prise à parti par d’autres militantes d’Enahdha, des militantes nettement plus radicalisées. Distorsions au sein du parti ou luttes de pouvoirs ? Toutes les suppositions sont possibles. Dans tous les cas, et pour en revenir à la liste de Nabeul 2, trois femmes sur trois sont voilées. Mais qu’est ce à dire ? A chacun sa liberté!

Hajer Majdoub appelle dans sa prise de parole la salle à aller voter en masse le 23 Octobre. Elle parle vivement à celles qui ne se décident pas encore. Celles qui hésitent ou qui ont peur : « Ne vous  fiez pas à la désinformation. Il n’y aura ni polygamie, ni répudiation… ». Le message ne passe pas! Ces droits sont des acquis que les tunisiennes ne sont pas prêtes à perdre. Nombreuses sont celles qui, semblant  proches du parti,  sont convaincues de ne pas voter pour lui.

Et les femmes?

Entre celles qui ont peur pour elles et leurs filles et celles qui se refusent à mélanger la politique à la religion, elles sauront pour qui voter dans l’isoloir ! Y aura-t-il pour autant un vote Femmes durant ces élections? Rien n’est moins sùr. Actuellement des spots radios et télévisions  passent en boucle des messages pour inciter les femmes au vote. Par voie de SMS, Facebook et affiches, une campagne en cours finira le 20 Octobre. Celle-ci utilise un enfant comme prescripteur. S’adressant à sa maman pour lui demander d’aller voter, l’enfant compte sur elle pour exprimer ses attentes quant à l’édification d’une société meilleure.

A quelques kilomètres de Hammamet, sur le site de « Hay Echhabeb » à Douar Hicher à Manouba, d’autres femmes déclaraient leurs hésitations à voter « Enahdha ». Am Khmaies a près de 70 ans et déclare: « J’ai fait la prière pendant 30 ans dans cette mosquée. Aujourd’hui on m’a même changé le sens de ma « Kibla ». Mais qu’est ce qui se passe dans ce pays ? » Ahmed Ben Achour est maçon. Il fait aussi ses prières et aime prendre un verre discrètement tous les soirs : «  Avec eux, ce sont de grandes restrictions qui vont nous tomber sur la tête ! Nous voulons des jours meilleurs sans changer nos modes de vie. Nous voulons du boulot,  mais,  pour qui voter ? ».

Au terme d’une journée de rencontres sur le terrain, les intentions d’abstention semblent se confirmer. Le parti de ceux qui ne savent pas encore pour qui voter serait-il encore le plus important ? Les récents événements liés à Sousse et à la diffusion du film « Persépolis » ont-il décidé les hésitants ? Les salafistes ont, suite à une semaine sous haute pression,  donné une idée funeste de leur vision de la Tunisie. Ces évènements ont-ils décidé éveillé  ceux qui avaient plutôt tendance faire confiance ?

Il est trop tôt pour le constater. A quelques jours de la date des élections, cela sonne le glas. A qui profitera cet abstentionnisme? A qui profitera l’opportunité offerte par « Nessma Tv » aux islamistes ? Les partis démocratiques ne sont-ils pas aussi tous un peu responsables de ce boulevard ouvert devant « Enadhdha »? Reste que l’enjeu de ces derniers jours est d’expliquer que ne pas voter, c’est donner tout de même sa voix !

Retour à Hammamet où le meeting d’Enahdha bat son plein. Dernier dans la liste Nabeul2, Ahmed Gaaloul est considéré comme une des têtes pensantes du parti. Le militant est originaire de Hammamet et y est populaire. Il s’empresse d’attaquer son discours par un focus sur le tourisme en précisant « qu’ « Enahdha » n’a pas d’attitude envers le secteur mais plutôt un projet ». Il reviendra sur un incident qui a eu lieu quelques jours auparavant. A la présentation du programme devant des professionnels, Ahmed Gaaloul n’a pas réussi a exposé son projet à cause d’un excès de méfiance et d’incommunication.

Pour construire une Tunisie meilleure où il ferait bon vivre, il faut rassurer et convaincre. Et Enahdha n’y parvient pas. Bien qu’elle ne cesse de soigner son image en mettant en avant un modèle « soft » et adapté à la démocratie en citant souvent l’APK et l’exemple turc,  le doute persiste. Contrairement aux radicaux dont elle veut se démarquer et qui eux, ne semblent pas craindre la mauvaise publicité, « Enahdha » tente de rassurer en cherchant une forme consensuelle pour affronter l’avenir. Y arriverat-elle? 

La présentation de la liste en lice pour gagner les élections de l’Assemblée Constituante au Cap Bon, au même titre que tous les discours et autres déclarations de ses militants, est précédée par une mention, toujours la même : «  La nouhallilou ma haramahou elleh » Et c’est bien là que la communication et la confiance se brisent.

Comment ne pas penser au double langage ? Comment se prémunir contre ceux qui auraient l’intention de marquer la nouvelle Tunisie de leur empreinte idéologique ? De gré ou de force…Au vu de l’escalade de ces dernières semaines, on pencherait plus du côté de la force ! Comment interpréter l’excès de confiance de Rached Ghannouchi déclarant la victoire de son parti sans attendre le résultat des urnes et le choix de ses concitoyens?  

Tant que personne ne connait le poids réel de l’islamisme politique en Tunisie, nul ne pourra répondre, ni se hasarder sur l’avenir du pays. Entre ceux qui surestiment et ceux qui sous estiment  le poids des islamistes, il y a un gap. Un gap qui marquera assurément une nouvelle page de l’histoire de la Tunisie.

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