« L’appel de la nation » de Béji Caïd Essebsi peut-il se résumer en une réunion d’Rcdistes ?

Les réseaux sociaux, avant même que la conférence ne débute, ont connu deux campagnes parallèles: une pour discréditer l’initiative d’Essebsi en la présentant comme une tentative vaine de rassembler les ex-Rcdistes sous couvert d’un mouvement national ; et une autre pour convaincre les gens des « nobles intentions » de cette initiative.

Une faction que l’on appellera « centriste » car elle embrasse les idées de ces deux courants opposés. Elle se sent, en même temps, obligée de choisir entre une dictature religieuse et le retour du RCD, car c’est ainsi qu’elle voit l’actuel gouvernement et Béji Caïd Essebsi.

Ceux qui accusent Essebsi de rassembler les « orphelins de l’ancien régime » avancent les arguments suivants: en premier lieu, une présence indéniable de visages connus de l’ère Ben Ali, à commencer par Kamel Morjane. Le journal électronique Businessnews rapporte à ce sujet que les gens présents ont été pris de stupeur au début de la conférence en se demandant ce que faisait celui-ci ou celui-là dans cette conférence. En second lieu, la théorie du complot, sans être palpable, est en elle-même une explication à laquelle le public adhère facilement. En effet, pour expliquer les dernières violences liées à l’affaire d’El Abdelliya, les trois présidences ont pointé du doigt dans leur discours les ex-rcdistes. En troisième lieu, l’éthos même de Béji Caïd Essebsi, bourguibiste et vieil homme d’état, est difficilement séparable dans l’imaginaire commun du régime corrompu qui aurait connu une continuité depuis Bourguiba jusqu’à l’ère Ben Ali.

Par ailleurs, l’ouverture de ce mouvement, prônée par Essebsi, laisse entendre que la porte est ouverte aux « destouriens », autre mot pour désigner de manière non péjorative les rcdistes, afin de se réhabiliter. Il est inévitable de citer la grande influence des administrateurs des pages Facebook, à la solde du parti au pouvoir, dont la charge est de salir l’image publique de tout opposant au gouvernement actuel. Ainsi, pour beaucoup de Tunisiens qui n’ont même pas écouté le discours d’Essebsi, l’évènement leur fut résumé par des « admins » dont le niveau intellectuel dépasse de peu celui d’une feuille de salade en une simple réunion d’Rcdistes qui veulent reconquérir le pouvoir.

Ceux qui défendent cet « appel de la nation » peuvent se fonder sur les déclarations de M.Taïeb Baccouche, invité à résumer les objectifs de cette mouvance sur Jawhara FM Samedi matin : D’abord, ce mouvement politique viserait, selon M.Baccouche, ancien ministre de l’éducation, à permettre à ceux dont les idées ne sont pas reflétées fidèlement, qui ne trouvent point un parti qui représente vraiment leurs idéaux, d’entrer dans la vie politique pour équilibrer le jeu des forces en présence.

Ensuite, ce mouvement est ouvert à toutes les entités politiques, même à Ennahdha, et ceci a été confirmé par M.Baccouche aussi bien que par M.Essebsi. Enfin, vu l’incapacité de l’opposition à s’unifier et à créer une force politique capable de rivaliser avec le titan tentaculaire qu’est devenu Ennahdha, l’intervention de Béji Caïd Essebsi peut être interprétée comme un pas dans ce sens. Par ailleurs, tout comme l’a fait le parti républicain, mais peut être moins violemment, Essebsi suggère l’établissement d’un gouvernement de salut national fondé sur la compétence et la participation de toutes les mouvances afin d’assurer son efficience.

Cette idée est fondée sur l’aveu que l’actuel gouvernement a échoué, et là est le problème avec Essebsi : Selon lui, Ennahdha devrait avouer qu’elle est incapable de sortir le pays d’une crise qui concerne l’économie, le chômage, le tourisme, la sécurité nationale, et les objectifs même de la Révolution. Elle devrait donc appeler « au secours » le reste des entités politiques afin de l’aider.

L’idée est simple : un gouvernement de compétences, un gouvernement national, et non le gouvernement d’un parti dominant. L’idée est aussi compliquée : il n’est pas simple pour un gouvernement dont un des ministres, en l’occurrence Lotfi Zitoun, explique les évènements d’El Abdelliya par « le succès étonnant du gouvernement » (ce qui a été un sujet de raillerie sur la nouvelle chaîne Tounesna) de faire preuve d’un tel recul critique.

Les deux avis, dans une certaine mesure, sont justes : si certains cris d’enthousiasme ont été provoqués artificiellement par des gens chargés de le faire durant la conférence, comme au temps de Ben Ali, d’autres réactions ont été à cent pour cent spontanées, comme l’éclat de rire suivant les vannes d’Essebsi sur les connaissances géographiques de l’actuel ministre des affaires étrangères, Rafik Abdessalam. Il y a en effet des ex-rcdistes aussi bien que des Tunisiens perdus, désespérés par une opposition trop extrémiste ou incapable d’inspirer confiance et qui cherchent une lueur d’espoir dans l’aura qui entoure un Béji Caïd Essebsi charismatique.

En guise de conclusion, avec presque 7000 personnes présentes à l’appel d’Essebsi, cet évènement aura sûrement des répercussions importantes sur la carte politique en Tunisie. Que l’on discrédite ce mouvement ou que l’on croit à cet appel à sauver la Tunisie, certains trouvent que soutenir Essebsi jusqu’aux prochaines élections n’est peut être pas un choix, face au choix actuel, imposé par la majorité, et qui ne leur convient pas.

Mohamed Anis Abrougui

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