Chronique de jours détestables dans un pays méprisant

amel djait

Que se passe-t-il en Tunisie ? La question devient anodine et loufoque. Aussi ridicule que le quotidien d’une population tunisienne épuisée. Tour d’horizon de journées ordinaires dans un pays qui n’est plus extraordinaire du tout ! Que reste-t-il de l’exception Tunisienne, si tant est qu’elle a vraiment existé un jour ? Ceci est une chronique que je tiens pour raconter la vie de tous les jours. Car les journées extraordinaires semblent désormais si lointaines ! Tenir un carnet de pessimisme aide-t-il à exorciser cet état de dépression, de lassitude et de laisser aller général ? Peut –être…Tentons l’expérience !

Par Amel DJAIT

Mariage et indiscrétions au chocolat? (Janvier 2024)

Le nouvel an est en général porté par les résolutions. Surtout les bonnes ; ne plus diner le soir, marcher au moins 45 minutes, changer de stratégie avec sa belle-mère ou éviter son ex-meilleure amie car elle ne supporte ton nouveau mari.

Entre temps, supporter de moins en moins la vie à Tunis est un amer constat. Il devient obsessionnel. Faut-il quitter le pays ? S’expatrier à plus de 50 ans quand on n’est pas médecin ou ingénieur n’est pas facile !

 Je me regarde de l’intérieur, le temps d’une journée ordinaire.

Il est 14h55..

Je sors d’une pâtisserie qui propose des fondants au chocolat succulents. L’artisan pâtissier est vert de colère. Il pestifère toute la haine du monde et vocifère une cascade d’insultes contre son voisin qui a mouchardé à la police comme quoi il avait un dépôt rempli d’un stock de farine subventionnée. Ce matin, la police fait une perquisition dans le garage du pâtissier et ne trouve que de la farine importé, de la crème pâtissière importé  et du sucre roux importé : «  C’est parce que tout est importé  que je me suis tiré d’affaire. En d’autres temps, avoir de l’importé était interdit. On ne sait plus sur quel pied danser! ». L’artisan-grossiste de produits importés passe le plus clair de son temps à trouver les denrées nécessaires à son business. Il dénonce la délation qui devient système et finit par admettre que si tu ne t’expatries pas, il vaut mieux consommer importé à la fripe et chez le boulanger !

Tunis sent mauvais. Les gens sont méchants et aigris. La révolution du 14 janvier ou ce qu’il en reste a définitivement perverti cette belle âme tunisienne légère et joviale.

Ce soir, je reviens d’un mariage où tout le monde était ailleurs tout en dansant et en faisant semblant de rigoler. La salle était lugubre, la lumière blanche économique jetait un voile blafard aux mines affaiblis d’une semaine pas très agréable. La souffrance est dans les rictus, dans les gestes saccadés et les rires forcés. Dieu ce que Tunis s’enlaidit et rend les gens moches.

Au mariage de ce soir, le mari, un des meilleurs ingénieurs du son sur la place, se fait imposer une sonorisation tonitruante qui agresse et avachit l’assistance. Lui qui capte les sons blancs a capitulé. La médiocrité gagne même les meilleurs, même le plus beau jour de leur vie.

 Et pourtant les invités dansent. Ils  gesticulent sans grâce.

La musique s’arrête 5 minutes. Enfin…

 Le temps d’échanger quelques propos avec les présents : X s’est fait voler chez lui, Y est largué par un ami homo qui a fait sa demande en mariage à sa copine qui ne sait pas qu’il est bi, Z a signé un contrat avec l’Arabie Saoudite. fatiguée d’expliquer sa startup aux compétences de l’administration tunisienne qui ne veulent ni ne peuvent comprendre…Les nouveaux mariés veulent en finir avec la soirée, le bi se marie pour rejoindre sa fiancé en Europe et le volé veut quitter Tunis pour Hammamet où vivement quelques 4000italiens et qui n’est déjà plus la Tunisie en étant pas encore tout à fait l’Italie !

Bref, juste la vie à Tunis.

5 minutes de silence pendant un mariage et 5 minutes pour acheter des fondants au chocolat!

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